Brillant, complexe, touffu, parfois laborieux, politiquement plutôt incorrect, ancré dans une réalité américaine d’aujourd’hui, c’est un polar noir particulier qui surprend par une combinaison intelligente des clichés réactionnaires américains et d’un certain progressisme nuancé européen. Il aurait pu être vraiment superbe s’il n’y avait un petit goût d’inachevé, principalement dû à la structure du roman, livre choral couvrant des thèmes aussi variés que les dérives capitalistiques d’une Amérique industriellement traumatisée, les illusions perdues d’écologistes radicaux, les amours adolescentes, les relations sociales d’un trou perdu de la campagne américaine, le journalisme d’investigation, les tueries des campus américains, le désœuvrement de quelques ploucs arriérés, le cynisme de quelques bobos citadins, les ravages écologiques des grands groupes industriels et j’en oublie.
Même si l’écriture est remarquable par moment, la mayonnaise a du mal à prendre d’autant que l’auteur en rajoute sur les procédés, avec un mélange de narrations classiques, de compte rendus d’audition, d’interview journalistiques et de réflexions politiques. Au milieu de cette jungle narrative dense et touffue, ma machette intellectuelle a finalement réussi à trouver l’éclaircie salvatrice vers la fin du livre, heureusement pour finir sur une note optimiste sur la qualité du roman.
Comment une petite ville rurale de l’état de New-York devient le théâtre de la mort sordide d’une jeune serveuse du coin qui va bousculer le paisible agencement des relations sociales du coin, entre paysans conservateurs, écolos bobos, adolescente surdouée, le tout sous l’œil vindicatif et incisif d’une journaliste tenace. Par déni de la vérité, les barons du coin refusent de se remettre en question, les idéalistes prennent la dure réalité de l’ère postindustrielle en plein face, les adolescent(e)s rêvent à des jours meilleurs, si possible loin de ce trou paumé, la violence sourde derrière la façade de ces relations sociales policées et l’on finit par comprendre comment des désastres comme les tueries des collèges américains peuvent arriver. Le livre fait preuve d’une réelle intelligence à démonter ces mécanismes, mais peine à vous emporter dans les tréfonds sombres de l’âme humaine. Un bon roman, cérébral certes, mais qui manque de tripes, faiblesse coupable pour un roman noir, même si par instants on entre-aperçoit ce qu’il aurait pu être si Cara Hoffmann avait un peu élagué dans les thèmes, resserré sa narration et laissé parler un peu plus son cœur et ses boyaux, plutôt que son cerveau.
Du sang et des tripes, certes, mais servis un peu trop proprement dans un restaurant branché de l’Upper West Side or de Soho. A lire tout de même pour le sujet et le ton singulièrement différents de la production américaine moyenne en matière de Polars.