Metzger sort de son trou

Thomas Raab

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Il faut croire que le Polar Autrichien a une spécificité avec sa propension à la dérision, à la causticité, à l’humour décalé, voir corrosif, à la digression philosophique et à la métaphore improbable. Après Heinrich Steinfest, voici Thomas Rabb et son enquêteur amateur, Metzger pour ce roman, initiateur de la série des Metzger (en Autriche). Willibald Adrian Metzger, restaurateur de vieux meubles, misanthrope, un peu poivrot (mais uniquement avec des vins de qualité), sort effectivement de son trou, pour dénouer un ou plusieurs meurtres, en relation avec son passé lycéen. L’intrigue a un faux air d’enquête à la Hercule Poirot, avec sa galerie d’anciens condisciples de WAM (comme l’autre autrichien célèbre, Wolfgang), mais rassurez-vous, c’est pour mieux déambuler au gré d’une démarche métaphysique pour expurger un passé douloureux, autant pour lui que pour ses anciens compères, retrouvés après plus de vingt ans de séparation. Même si il s’agit de résoudre le mystère du meurtre de Deutner dont fut accusé Dobermann quinze ans auparavant, on dérive bien loin des salons feutrés propres à ce cher Hercule, et ce sera l’occasion pour Metzger de s’émanciper de son ancien rôle de souffre-douleur et de premier de la classe honni et maltraité par tous et de s’ouvrir enfin au monde et à l’amour pour une renaissance salvatrice au sortir de ce trou, ou plutôt de cette cave ou il faillira mourir au terme de cette enquête menée avec intelligence, sagacité, pugnacité, philosophie et humour.

Car Thomas Raab sait indéniablement manier tous ces ingrédients, que ce soit avec des métaphores jouissives, des rappels à l’enfance de WAM pleins de nostalgie, des digressions sur le destin de la mère de celui-ci, un peu trop lucide pour s’apercevoir que son mari la trompe et va la quitter, des saillies incisives sur l’Église (quel plaisir, ces petites pépites férocement anticléricales), ce ton gentiment mais surement anti politiquement correct. Pour ne rien gâcher, il arrive à maintenir un suspense tout au long du livre, pour conclure avec bonheur sur une chute d’autant plus crédible qu’elle est inattendue. Ce roman s’annonçant comme le début d’une série des Metzger, on ne saurait trop conseiller de se jeter sur les suivants, pour peu que l’éditeur Carnets du Nord se donne la peine de les traduire et les publier (sauf si évidemment vous excellez dans la langue de Rilke ou Jelinek).

  • C’est l’Église tout craché, ça : mesquine avec ses brebis quand il s’agit de pardonner, mais très généreuse lorsque ses propres rangs sont concernés.
  • Personne ne possède quoi que ce soit, par conséquent tout appartient à tous. Qu’elle que soit la hauteur d’une clôture, il se trouvera toujours un oiseau pour aller lâcher une fiente de l’autre côté.
  • L’envie gouverne le monde, elle prend naissance dans les chambres d’enfant, trouve de nombreux adeptes dans les jardins ouvriers et les bâtiments communaux et connaît des succès éclatants dans les relations entre États. Elle respecte scrupuleusement sa devise : partout où se réunissent deux personnes ou plus – pour quelque raison que ce soit – je suis là.
  • Si Willibald Adrian avait su que Félix Dobermann avait été son plus grand admirateur, il se serait senti comme un cochon engraissé qui se trouve devant le billot, avec vue sur la chambre froide où pendent quelques-uns de ses anciens collègues, pendant que le bourreau affirme être végétarien.

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