Le Diable tout le temps

David Ray Pollock

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SI vous croyez encore au rêve américain, si vous pensez que l’âme humaine est foncièrement bonne, si vous avez encore quelques doutes sur les ravages ou les bienfaits du couple Bible et Fusil, cher à Doubleiou Bush, alors plongez vous dans cette perle majeure et incontournable. Tout ce que l’Amérique profonde peut compter de pervers, de torturés, de besogneux, de bonté, de sauvage et de lyrique, se donne rendez-vous sous la plume acerbe, magnifique et maitrisée de David Ray Pollock, dont c’est le premier roman. Une galerie de portraits dont on ne sort pas indemne, qui repousse les limites du supportable, pas tant au niveau de la violence, mais plutôt comme une douleur lancinante qui vous rappelle sans cesse et sans aucun répit que le mal est là, présent, inévitable, inéluctable, tout le temps ! Même le jeune Arlin, que l’on suit tout au long du roman sur une vingtaine d’année, symbole de pureté, de gentillesse et de bonté, finira lui aussi par succomber aux affres du mal. Mais comment résister, à cette accumulation de malheurs et de rendez-vous manqués avec la vie, comment faire face dignement à ce destin vicié et faussé peut-être depuis le départ, alors que le diable, la folie, la violence et la méchanceté gratuite rodent constamment autour de vous, parfois en prenant des atours bien singuliers. Tel ce prêtre qui aime un peu trop les petites filles, tel ce couple anodin qui prend des auto-stoppeurs pour mieux les abuser sous l’objectif de leur appareil photo, tel ce duo de prédicateurs cinglés, dont l’un tue sa femme, pour mieux prouver qu’il peut la ressusciter grâce au pouvoir de Dieu, tel Willard, père d’Arlin, qui tente de sauver sa femme des griffes du cancer avec quelques prières et sacrifices d’animaux. Tous sont pétris de religion intégriste, de violence latente et profonde, tous hésitent entre la croix et le flingue et décident in fine de se servir des deux, ou à tout le moins de justifier l’un grâce à l’autre, à l’instar d’une Amérique devenue définitivement folle au nom de valeurs qu’elle croit universelles alors qu’il ne s’agit que de valeurs factices fabriquées à coup de mensonges, de prétextes, de lâcheté, de légende pour mieux justifier les accommodements et comprissions avec le mal qui la ronge. Avec un style sec, lyrique, prenant, équilibré, David Ray Pollock nous fait supporter l’insupportable, nous fait tenir debout contre ce dégout envahissant, cette noirceur contagieuse et nous recouvre d’un pessimisme que l’on pressent comme la réalité d’un monde devenu fou, ou pire d’un monde que l’on ne pourra pas changer. A lire d’urgence, si ce n’est pas déjà fait.

Le Diable, tout le temps de David Ray Pollock a remporté le Grand Prix de la littérature policière 2012 dans la catégorie Roman étranger
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