Le Démon

Ken Bruen

2' de lecture

J’ai entamé mon tout premier Ken Bruen avec la piété qui sied à l’auréole dont jouit cet auteur devenu culte chez les adorateurs du Noir, avec la ferveur et l’appétence du mécréant qui veut entrapercevoir le Saint Graal, avec une empathie toute personnelle pour une Irlande chérie, en un mot avec un crédit d’intention que ne renierait pas mon banquier. Le privé Jack Taylor ne m’a pas déçu sur sa consommation de Xanax, de Jameson et de Guinness (presque pas une seule page où il ne se tape son cocktail favori), sur son ironie plus que mordante, sur son anticléricalisme un peu moins primaire que prévu, sur son amour immodéré mais lucide de l’Irlande et des Irlandais(es) d’hier et d’aujourd’hui, sur son cynisme et ses sarcasmes comme protection contre un monde qu’il ne veut, peut plus reconnaitre.

Par contre, cette histoire démoniaque m’a un peu laissé sur ma faim, traitée un peu par dessus la jambe, essaimant les cadavres autour du pauvre Jack, naviguant entre gothique, fantastique et polar. Le livre vaut surtout pour ses dialogues percutants, les répliques cyniques, les perles imagées de Jack sur, pêle-mêle, les catholiques, les irlandaises, l’alcool, les substances illicites, la musique, la désillusion de l’Irlande qui se voyait déjà trop belle, la récession, la religion, le démon, le diable et ses serviteurs. Jack Taylor, le privé emblématique de Ken Bruen, prêt à quitter la verte Erin pour les États-Unis ? Que nenni, refoulé à la frontière, il va devoir se coltiner pas moins que le Démon lui-même qui veut régler une affaire personnelle avec lui. Bien que paré d’une carapace aussi épaisse que la soutane des curés irlandais, notre homme voit son cynisme, sa distanciation, son ironie et finalement sa raison mise à rude épreuve pour sauver les quelques amis qui lui restent, les autres tombant comme des mouches sous le sourire sarcastique du Malin, lui-même plus proche d’une gravure de mode ou de Largo Winch que du repoussant Belzebuth aux pieds crochus .

Cette pseudo-enquête m’a permis de découvrir le monde de Jack Taylor, ses références littéraires et musicales, ses répliques cinglantes et définitives, ses certitudes mâtinées de whiskey irlandais et de Guinness, son anticléricalisme compassionnel et ses bouffées de violence. J’ai adoré tout cela avec toutefois une petite pointe d’agacement pour l’accumulation de bons mots ou bonnes répliques et ce trop plein de cynisme et de distanciation qui peut parfois confiner à la misanthropie.

Cher Jack, attention à ne pas finir Vieux Con!

Un fantôme dans la tête
Châtiments