Gun Machine

Warren Ellis

3' de lecture

Quand le polar s’accoquine avec le Comics ou l’inverse ! Avec jubilation et maestria, Warren Ellis se joue des codes du Polar pour nous narrer l’enquête (presque invraisemblable) du lieutenant John Tallow, flic désabusé, aigri et asocial du NYPD, qui tombe sur un merdier sans nom, avec la découverte de plusieurs dizaines d’armes ayant servi sur des meurtres non résolus depuis une vingtaine d’années. Ça démarre donc comme un bon vieux polar digne de Big Apple mais qui prend rapidement la tangente, plutôt élégante et jouissive, vers des contrées loufoques, ravagées, étonnantes et complexes. Tout en s’appuyant sur des thèmes d’actualité très contemporains (monde de la finance, trading à haute fréquence, privatisation à outrance des taches policières, obsession sécuritaire et interconnexion globalisée), il revisite les thèmes classiques du tueur en série, de l’ambition démesurée, de l’appât du gain et de la corruption policière. Rien que de très banal en somme dans le monde du roman noir, mais traité ici avec une forme d’outrance contenue, de dialogues en rafales, de divagations oniriques voire métaphysiques, cela donne une sorte d’ovni qui vous capte indubitablement, vous questionne, vous perd parfois à force de trop suggérer, mais qui finalement vous emporte avec brio jusqu’au bout de votre lecture.

Je dois reconnaitre la maitrise et le talent de Warren Ellis pour faite tenir debout cette enquête, pour ses personnages déjantés mais attachants, son découpage cinématographique, ses coups de boutoir verbaux et narratifs, sa façon subtile de nous perdre pour mieux nous faire rebondir vers la prochaine étape, et enfin pour assembler un puzzle aux pièces disparates mais donc l’image finale est à la fois singulière et très classique. Une mention particulière pour les deux flics de la Scientifique qui aident John dans son enquête, Scarly, une lesbienne limite autiste et Bat un presque puceau geek qui valent tous les deux le détour. Les scènes où ces trois là se retrouvent autour d’un sandwich, voir un repas sont emblématiques de la pâte de l’auteur, avec en particulier, ce dîner presque familial, tous trois accueillis par la compagne de Scarly, très nature et apte à faire craquer John et son incapacité chronique à sociabiliser. Par ailleurs, la convocation des rituels magiques amérindiens, de l’histoire indienne de Manhattan, de la superposition des cartes personnelles, historiques, virtuelles ajoutent à l’étrangeté, voire à l’emprise magicienne du roman.

Il faut peut-être signaler que Warren Ellis est par ailleurs un Pape du comics, scénariste de renom, ayant apporté sa contribution à des éditions telles que, Marvel Comics ou Wildstorm, irrévérencieux, provocateur, comme peut l’être Hunter S. Thompson et sa fameuse journée d’enfer. Aux dernières nouvelles, devrait être adapté au cinéma, ce qui ne serait guère étonnant, pouvant ainsi donner naissance à une sorte de mutant croisé entre le flic bourru et paumé et le chamane amérindien.

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