Cataract City

Craig Davidson

3' de lecture

Pas franchement un polar au sens premier du terme, mais à coup sûr un roman qui mérite une place de choix dans le monde des durs-à-cuire. Dans ce roman, Craig Davidson nous parle d’amitié virile, d’amour contrarié, de fidélité à ses valeurs, à son enfance, de l’emprise implacable qu’exerce sa ville sur chacun de ses habitants, de prédestination sociale, de la contrainte irrépressible de suivre la voie toute tracée par leurs racines, sociales, économiques, ethniques même.

Voilà l’histoire de deux copains d’enfance, Duncan Diggs et Owen Stuckey, promis à des destinées différentes, voire opposées, flic et voyou, mais qui vont se retrouver pris au piège de cette ville et de son âpreté après avoir traversé des aventures communes. Aventures au cours desquelles, l’auteur va disséquer avec un lyrisme puissant et un réel talent, des personnages cabossés, pleins de dureté, veules et lâches, obtus, généreux et bons, droits, et toujours mus par une sorte de fatalité inéluctable qui les pousse vers leur destin déjà écrit, tout en se posant la seule question qui vaille vraiment, pourquoi fait-on toujours le choix du pire quand celui du meilleur nous tend les bras.

La nature, les chutes du Niagara (Cataract City est de fait la ville des chutes), la rivière elle-même et les espaces sauvages sont également magnifiquement omniprésents pour offrir un écrin terrible à la brutalité des personnages et de leurs sentiments. Chacun est confronté dans ses choix à cette nature sans merci mais d’une beauté hypnotique, que ce soit Lemmy Drinkwater, indien, malfrat, contrebandier et froid organisateur de combat de chiens, Bruiser Mahoney le catcheur sur le déclin, idole des deux gamins, mais lucide sur sa situation, les deux copains de classe qui par leur bêtise et jalousie crasses vont briser le rêve de Owe en même temps que son genou, Edwina, la belle jeune femme qui passera de Owe à Duncan et reste la seule parmi tous à être capable de décider ce qu’elle veut et ne veut pas. Presque tous ont peu ou prou travailler dans cette petite ville de province, au sein de la seule industrie génératrice d’emplois, la Bisk, fabrique de biscuits eu autres friandises industrielles, tellement présente que chacun sent sur son propre corps l’odeur de la spécialité sur la chaine de laquelle il travaille. La prédestination sociale est ici encore plus brutale que les coups assenés par les boxeurs que Duncan affronte dans les combats clandestins organises par Drinkwater. Toutefois, cette brutalité est parfois un peu trop magnifiée avec complaisance, accumulant des avalanches de gnons, de chairs meurtries, d’os brisés, de mâchoires disloquées, de gelures au cours de combats de catch, de boxe, de chiens, de poursuite dans les forêts enneigées et même de courses de lévriers. De même, la construction du récit avec les allers-retours et flashbacks présent-passé et l’alternance du récit entre point de vue de Duncan et celui de Owe rendent la lecture parfois déroutante et déstabilisante. Certains lecteurs peuvent aimer, ce n’est pas mon cas.

Quoiqu’il en soit, c’est un très bon roman dur, sensible et prenant et Craig Davidson a bien du talent. A noter qu’il avait écrit en 2006 un recueil de nouvelles, Un goût de rouille et d’os adapté à l’écran par Jacques Audiard en 2012 dans un beau film avec Marion Cotillard.

Helena
Toutes blessent la dernière tue