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Sérieusement, l’Europe du Nord serait elle devenue la nouvelle patrie du Polar ? Les brumes nordiques, la rigueur suédoise, la froideur norvégienne et l’immensité finlandaise sont elles les nouveaux terrains de jeux des nouveaux Marlowe et autres Sam Spade. On pourrait effectivement le croire avec l’engouement croissant et souvent mérité pour les productions venues du froid d’auteurs de plus en plus connus, tels que Henning Mankell et Åke Edwardsson (Suède), Gunnar Staalesen (Norvége) et aussi Karin Fossum (Norvége).
Le Nouveau Polar carbure t’il à l’Aquavit ?
Mais en quoi le polar scandinave diffère t’il des autres romans policiers ? Au delà du contexte géographique et culturel, les auteurs nordiques (et plus particulièrement les auteurs masculins, on reviendra sur la spécificité féminine) mettent le plus souvent en scène des détectives avec des caractéristiques communes :
- désabusés et très critiques sur l’environnement social du pays (comme le trop fameux Kurt Wallander de Henning Mankell ou Eric Winter d’Åke Edwardson et encore Varg Veum de Gunnar Staalesen),
- en constant doute vis à vis de leur positionnement tant dans la société que dans l’intrigue même qu’ils sont chargés d’élucider (à ce titre, l’abandon du même Kurt par son auteur en est le parfait exemple),
- un humour comme remède au renoncement avec une pointe d’autodérision salutaire.
La sauce du polar scandinave est à base d’un mélange très élaboré d’ingrédients tels que désespoir, humour et réalisme dans lequel tous les personnages sont plongés car ils sont toujours au centre du bouquin.
La critique Sociale en Toile de Fond
Cette critique du modèle suédois (et plus largement scandinave) est très souvent sous-jacente voire totalement explicite que ce soit lorsque ses péripéties entraînent Varg Veum dans les banlieues de Bergen (voir Pour le meilleur et pour le pire) ou que l’auteur décrive avec une pointe de nostalgie voire d’agacement les mutations physiques et psychologiques de la société qu’il croise. De même, la petite ville d’Ystadt (cher à Henning Mankell) ne nous est plus étrangère et les longues pages que Kurt passe à la réflexion sur sa mutation peuvent nous en dire long sur le mirage suédois. De façon générale, les détectives ou flic scandinaves sont plutôt progressistes (en clair de gauche) avec le côté désabusé de celui qui est revenu du miracle social annoncé. Capitalisme sauvage versus protection sociale sont abordés sans détours. Ainsi, Varg Veum est il un ancien salarié à la protection de l’enfance de la ville de Bergen en Norvège (ville natale chère à Varg Veum), devenu détective privé. Dans ses enquêtes, il met souvent en avant cette expérience professionnelle pour rappeler la dureté du monde dans lequel nous vivons et les difficultés que certains ont à s’en sortir comme dans cette banlieue froide (dans tous les sens du terme) de Bergen qui est le théâtre de vies difficiles, gâchées, monotones et parfois sans espoir (cf. Pour le meilleur et pour le pire).Le même, dans Brebis Galeuses aborde la drogue et la prostitution comme nouveau vecteur ou comme face cachée du capitalisme.
De même, Kurt Wallander s’interroge sur les méfaits de ce même capitalisme sauvage dans L’homme qui souriait ou plutôt sur les méfaits des patrons sans scrupules. D’ailleurs c’est sa dernière enquête car il ne tient plus le choc et tous ses doutes lui pèsent tellement qu’il démarre le roman par une errance teintée d’alcool qui lui fait prendre la décision d’arrêter tout (à noter que sa fille reprend le flambeau dans le dernier Mankell Avant le gel).
L’Introspection comme moteur positif
Si dans le roman on a souvent parlé de comportementalisme (voir Chandler et Hammett et le dossier Histoire du Polar), le polar scandinave aborde lui le côté obscur (non pas de la Force) mais de ses personnages avec une profondeur qui n’a d’égal que les doutes et les difficultés existentialistes des personnages rencontrées. Ainsi dans Ombre et Lumière, on accompagne assez longtemps Eric Winter qui fait le deuil de son père mourrant en Espagne et qui voit sa vie personnelle complètement chamboulée (sa compagne Angéla emménage chez lui et attend leur premier enfant). Arrivera t’il à assumer cette nouvelle situation, ce changement radical ? On est loin du Lonesome Cowboy cher à l’imagerie populaire et chandlerienne, du détective solitaire, blasé, tombeur de femmes fatales.
L’humour joue un rôle non négligeable chez bon nombre d’auteurs et je retiendrai ici en particulier le bizarroïde Varg Veum de Gunnar Staalesen qui n’en rate pas une (de bonne blague ou de bonne réplique) surtout pour désamorcer des situations tendues voire explosives.
Harry Hole, inspecteur de la police d’Oslo, créé par Jo Nesbo (Norvége), n’est pas non plus un enfant de chœur, bourru, solitaire, avec un fort penchant pour l’alcool, le tabac et des méthodes peu orthodoxes pour résoudre ses enquêtes. Je mentionne pour le principe Stieg Larsson, car, à moins d’être resté sur une ile désetre couppée du monde, vous n’avez pas pu échapper au succés phénoménal de sa Trilogie Millénium (plus de 50 millions d’exemplaires, traduction dans 25 pays, 5 tomes dont le dernier,La Fille qui rendait Coup pour Coup, écrit par David Lagercrantz aprés la mort de l’auteur, deux adaptations cinématographiques, une série télé et même une collection, Actes Noirs, créée pour l’occasion par les éditions Actes Sud.
On peut également se tourener vers l’Islande, avec Arnaldur Indridason et son personnage d’ inspecteur de la police de Reykjavík, Erlendur Sveinsson, ou encore un nouveau couple d’enquêteurs dans la fascinante Trilogie des Ombres, qui se situe à l’époque de la Situation, terme pudique pour évoquer l’occupation américano-britannique de l’Islande à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les éditions Métaillé en ont fait leur auteur vedette.
La Particularité Féminine
Même Henning Mankell nous propose une collègue de l’inspecteur Kurt Wallander, Ann-Britt très compétente et qui en remontre aux membres masculins de l’équipe. Une exception toutefois chez Anne Holt : la commissaire Hanne Wilhelmsen est une lesbienne qui, sept volumes durant, s’entête à cacher sa liaison à ses collègues. Il faudra attendre le septième livre pour qu’elle accepte enfin, sur les instances de ces mêmes collègues, de se pacser avec sa nouvelle compagne (peut-être l’influence de l’évolution des mœurs sociétales). La aussi, pour ces auteures de polars, on retrouve la critique sociale avec une orientation plus vers critique de la condition de la femme dans leur pays. C’est l’occasion d’écorner la sacro-sainte image colportée sur les pays scandinaves, que l’on dit si avancés en matière de parité hommes-femmes. Cette société reste malgré tout encore assez machiste, même s’il faut quand même avouer qu’il y a du progrès.
Et si le Polar venu du froid commençait à nous chauffer sérieux ?