Le Polar Chinois

le polar de l'empire du milieu

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Table des Matières

Les jeux de Pékin (Beijing) il y a déja 10 ans, la main mise de Xi JinPing sur la Chine aujourd’hui, les tentatives d’épuration politique au sein du Comité Central et les soubressauts de Hong Kong, nous rappelle que la Chine, au delà de son dynamisme actuel, sa nouvelle modernité, son agressivité économique et sa jeunesse ultra-branchée reste une société verrouillée, bâillonnée et formatée pour permettre une marche au pas cadencé encadré par une censure clairement assumée. Mais la Chine a déjà changé énormément et le polar chinois se veut justement le reflet de ce changement et surtout de la réalité de ce gigantesque pays. Sous couvert de fiction, le Polar Chinois se permet de dire beaucoup de choses en développant un univers contemporain, urbain, nocturne, sensuel et vénal. Car la Chine s’est aussi et surtout, la corruption, la violence, la guerre des gangs ou des clans (même au niveau politique), la démesure des villes comme Shanghaï, Beijing ou Guanzhou, décor idéal pour les polars plus sombres que jamais. Mais le polar chinois réussit aussi à tisser un lien entre modernité et héritage historique, il revisite le passé pour mieux expliquer le présent, même si la Révolution Culturelle avait en son temps souhaité couper tous liens avec le passé et l’histoire. Embarquez pour un petit voyage au cœur de l’Empire du Milieu !! (et quand je dis le cœur, il s’agit aussi souvent des tripes et boyaux, nourriture chinoise oblige).

Qiu Xiaolong

Une dernière enquête de l'Inspecteur Chen
Une dernière enquête de l'Inspecteur Chen
La figure emblématique du Polar Chinois se nomme aujourd’hui Qiu Xiaolong et un titre en particulier, La Danseuse de Mao, (paru en 2008), nous donne une belle illustration de ces romans toniques, ne craignant pas de dégommer l’histoire et mettre en scène le Grand Timonier. Certes, Qiu Xiaolong est sino-américain et écrit en anglais et à ce titre peut être sujet à caution, mais les aventures de son inspecteur Chen, flic poète, traducteur et gourmet, qui apparaît dans dix polars nous donne un bon aperçu de la complexité de la société et de la culture chinoise. Comme tout bon polar, on y trouve des personnages très denses, des intrigues biens tournées, des scènes fortes avec un sérieux penchant pour le nourriture (mais qui connaît un peu la Chine sait que la bouffe tient une très grande place dans la culture et la société chinoises et plus généralement asiatique), une invitation à réfléchir et une analyse sociale et historique sur la Chine d’aujourd’hui. Pas loin d’être la quintessence du polar chinois. A lire également Mort d’une Héroïne Rouge, (succès couronné d’un Anthony Award du premier roman) histoire d’une travailleuse modèle de la Nation assassinée, mais qui était, en fait, la maîtresse d’un cadre supérieur très amateur de femmes ou encore Encres de Chine, enquête sur une ex-Garde rouge, condamnée pour dissidence, qui est tuée. Dans De soie et de Sang, ne rater pas la fin (oserais-je dire la faim) avec un repas du diable à consommer avec circonspection. Pour terminer, la dernière enquête de l’inspecteur Chen, parue en 2016, Il était une fois l’Inspecteur Chen

Mi Jianxiu

Fang Xiao dans la tourmente, Neuvième roman de Michel Imbert
Fang Xiao dans la tourmente, Neuvième roman de Michel Imbert
Dans un registre pas très éloigné, Mi Jianxiu avec ses aventures du Juge Li est à découvrir en particulier avec Lotus et Bouche Cousue, quatrième tome des aventures du juge Li (à ne pas confondre avec le Juge Ti, personnage fétiche de Robert Van Gulik et auquel on a tendance à penser un peu trop vite quand on parle de roman policier chinois) qui, une fois encore, va quitter Pékin pour se plonger dans les campagnes chinoises où règne le crime. On a droit à un portrait réaliste de la Chine des années 70 et 80 où la stature et la politique du grand Mao Zedong sont incontournables et où le mélange de traditions, de coutumes, d’histoire et de modernité font le sel de ce récit policier. On y croise meurtriers, camp de rééducation, vengeance et tueurs en série. A litre également Rouge Karma, 2ième enquête du juge Li, confronté à une corruption endémique pour laquelle il vaut mieux faire le nettoyage par le vide. Avec Bleu Pekin, on monte vers les sommets de l’état avec une lutte politique sans merci. Mais attention, pour certains bien informés, Mi Jianxiu se cacherait sous la plume de Michel Imbert, son propre traducteur, toulousain passionné par l’histoire de la Chine contemporaine et sinologue averti. Même écrit par un français, le polar chinois n’a pas grand chose à envier à son homologue étasunien. Décidément en Chine, la ligne droite n’existe pas !

Diane Wei Liang

une nouvelle enquête de Wang Mei
une nouvelle enquête de Wang Mei
Côté féminin, les chinoises ne sont pas en reste avec la détective privée Wang Mei, pionnière dans le Pékin de la fin des années 90 et personnage principal de l’auteur Diane Wei Liang. Dans Le Secret de Big Papa Wu, la jeune femme détective, intègre, solitaire, exigeante, se lance à la recherche d’un sceau de jade ancien volé dans un musée pendant la Révolution culturelle. On ne peut pas parler d’un vrai roman noir, mais plutôt d’un mélange entre roman policier, sentimental et déambulations touristiques dans Beijing. C’est d’ailleurs cette découverte de la bouillonnante et frénétique capitale chinoise qui est intéressante car l’auteur nous fait sillonner en tous sens cette cité démesurée, depuis les vieilles ruelles obscures jusqu’aux quartiers clinquants des nouveaux riches. En cours de route, on assiste au mariage ultra-chic de Lu, la sœur de l’héroïne, avant de visiter l’hôpital où est hospitalisée leur mère. Un lieu où il faut engager sa propre aide-soignante et où tout se paie séparément, surtout les meilleurs soins. A lire donc d’abord pour un aperçu de Beijing. Une autre enquête de Wang Mei, désormais à son compte comme détective privée, dans La Maison à l’esprit d’or.

Zhang Yu

Faut croire que la corruption est le sujet idéal pour tout auteur de roman policier chinois, puisque c’est encore le thème développé par Zhang Yu dans Ripoux à Zhengzhou où 2 policiers sont confrontés au cours de leurs enquêtes mais aussi de leur vies personnelles à la corruption, le pouvoir de l’argent, les gangs. Cruel dilemme qui les fait hésiter, prendre des décisions discutables et qui met en lumières les nouveaux maux de la société chinoise moderne.

He Jiahong

On peut délaisser les flics ou détectives pour retrouver cette fois un avocat, Maître Hong, héros récurrent deHe Jiahong, spécialiste de procédure pénale et de criminalistique, enseignant à l’université du peuple de Pékin. Dans Crime de Sang l’enquête se situe dans le milieu rural d’une province du nord-est. On évoque les communes populaires, le poids des membres du Parti et la difficulté de mener une enquête sur cette nomenklatura. En écho à une certaine actualité, on peut lire Crimes et délits à la Bourse de Pékin où Maître Hong, pour sa quatrième enquête, se voit confier une affaire d’escroquerie en bourse. Avec sa toujours aussi ravissante assistante Song Jia, il se lance dans une enquête palpitante qui mêle sexe, argent, émigration et terrible vengeance.

Feng Hua

Seul demeure son parfum de Feng Hua
Seul demeure son parfum de Feng Hua
Découvrez Seul demeure son parfum de Feng Hua, petite perle singulière et poétique. Si les tourments de l’âme d’un serial killer chinois vous intéressent, si la ténacité et la patience d’un flic chinois vous impressionnent, si la complexité des rapports humains éveille votre curiosité et enfin si la Chine contemporaine et sa culture vous séduisent, alors dévorez ce livre singulier, empreint de poésie, de fraicheur stylistique et vraiment décalé par rapport à la production habituelle des polars. Il s’apparente plus à une cérémonie du thé avec une dégustation lente et raffinée qu’à l’ingurgitation d’un gros hamburger style best-seller américain. Retrouvez la chronique du livre ici même dans la rubrique Livres

Pour la Route

Pas de mantra pour Pékin de Albert Weng, disparitions et sacrifices humains dans la communauté française de Beijing (Pékin en chinois) avec un policier financier pour s’y coller. La Poudre noire de Maitre Hou de Tra Nhut, on s’éloigne un peu des univers glauques du Polar mais juste un petit clin d’œil personnel (private joke) pour ce polar où le mandarin Tan doit élucider un mystérieux meurtre en plein 18ième siècle.

La réalité dépassant trés souvent la fiction, Liu Yongbiao, auteur chinois de romans policiers, dont un a été adapté pour une série à la télé, a été arrêté en 2017 pour quatre meurtres durant un cambriolage à Huzhou, proche de Shanghai. Aprés des aveux et soulagé d’être enfin démasqué, il avait en projet un nouveau livre dont l’intrigue tournait autour d’un auteur multipliant les assassinats les plus macabres, sans jamais être démasqué.

Si de nombreux auteurs chinois abordent le thème de la corruption, ce n’est pas un hasard. Jusqu’en 2012, la corruption constituait un mal endémique qui mettait en péril le régime lui-même. Hu Jintao, prédécesseur de XiJing Pin, avait déjà à cette époque pressenti le danger et s’était attelé à son éradication. A partir de 2013, Xijing Pin, à la tête de l’état, va mener une campagne anti-corruption féroce (et très ciblée politiquement) pour donner des gages au petit peuple, mais aussi faire le vide politique autour de lui. Néanmoins, la corruption demeure une réalité tangible de la société moderne chinoise et également congénitale des systèmes de Parti Unique, où pouvoir, nomenklatura, argent sont les pierres angulaires d’une société qui a fait de l’enrichissement individuel et collectif une religion.

Depuis 2009, la liste est longue des affaires qui ont montré la profondeur du mal et la gangrène dont est atteint le système.

  • En mars 2009, un député de la province du Jilin, Mi Fengjun était exclu de l’ANP pour avoir accepté des pots-de-vin.
  • Juin 2009, le maire de Shenzhen, Xu Zongheng, était relevé de ses fonctions pour trafic d’influence.
  • Juillet 2009, Chen Tonghai, ancien directeur de Sinopec, société d’État et 2e géant pétrolier chinois, était condamné à mort (avec un sursis de deux ans) pour avoir accepté 28 millions de dollars de pots-de-vin.
  • Xu Guoyuan, ancien maire de la ville de Chifeng, dans la région autonome de la Mongolie intérieure, a été condamné à mort avec deux ans de sursis pour une corruption s’élevant à prés de 2 millions de Dollars.
  • Kang Rixin, chef du programme nucléaire chinois et président de la société China National Nuclear Corporation (CNNC) a été débarqué en 2009 pour avoir, semble t’il, détourné des fonds publics et reçu des pots-de-vin pour un montant total de plus de 180 millions d’euros.
  • en 2013, l’ancienne star du Parti et maire de Chongqing, Bo Xilai, surnommé le Prince Rouge de Chongqing, est reconnu coupable de corruption et d’abus de biens sociaux, condamné à la prison à perpétuité et sa villa en France saisi pour l’occasion.
  • en 2014, Zhou Yongkang, PDG du géant pétrolier CNPC et maire de Panjin, est condamné à la prison à vie lors d’un procès à huis clos.

Même si la campagne anti-corruption volontariste de XinJin Ping semble porter ses fruits, illustrés par une série télé en vogue dans l’empire du milieu traitant du sujet, il pêut être utile de rappeler que la Chine n’a gagné qu’une toute petite place dans le classement de Transparency International entre 2012 et 2016, se positionnant aujourd’hui au 79ième rang alors qu’elle était 80ième en 2012.

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