Requins d’eau douce

Heinrich Steinfest

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Quand le Polar se fait philosophe, sarcastiquement humoristique, insolemment talentueux, subtilement perverse, délicieusement absurde et outrageusement intelligent et érudit, alors vite, découvrez cette pépite germanophone dans ce monde formaté des polars et thrillers américains convenus et tellement prévisibles. Heinrich Steinfest réussit le tour de force de marier avec bonheur une énigme aussi originale que tordue avec un sens de la narration et de la digression philosophique diaboliquement délicieux qui vous plonge dans des eaux subtilement glauques. D’ailleurs, cela commence par la découverte d’un cadavre noyé dans une piscine privée sur le toit d’un immeuble cossu de Vienne et mutilé, à moitié dévoré par un requin avec pour seule indice un bout de prothèse auditive. Si vous avez l’eau (douce) à la bouche, alors suivez de prés l’inspecteur Lusatik, adepte de l’œuvre de Wittgenstein (dont la pensée et les préceptes sont déclinés dans son œuvre majeure le Tractacus qui inspire et ne quitte jamais notre inspecteur), par ailleurs incestueux (ancienne relation avec sa sœur subtilement narrée et analysée), maniaque et opposé à tout logique, prônant la déconstruction et l’absence de méthode de travail, parfois passablement incompétent et enfin non seulement conscient mais sûr de sa supériorité. Feu d’artifice d’humour un peu noir, de subtiles méchancetés et vérités, de digressions follement intelligentes, de rebondissements improbables mais d’une construction imparable, de perversités bienfaisantes, ce roman vous rendra plus intelligent, plus joyeux, plus caustique et plus pêchu, plus vivant et vous gardera l’esprit éveillé et aiguisé.

Par quel bout prendre cette enquête qui démarre sur le toit d’un immeuble de Vienne et qui oblige l’inspecteur Lusatik à s’intéresser aux requins et donc à s’adjoindre un spécialiste de ces bestioles qui a peur de l’eau et d’un médecin-légiste totalement incapable. Mais c’est mal connaitre Lusatik pour qui le mystère n’existe pas et pour qui la pugnacité, accessoirement associée à son amour des partitas de Bach et de l’œuvre de Wittgenstein, peut aisément compenser ses bourdes mâtinées de mauvaise foi. Il va mettre tout son originalité et son absence de talent pour la chose policière (au grand dam de son supérieur hiérarchique) au service de la solution de cette énigme improbable. Ses chemins de traverses et ses errements le verront céder à ses intuitions et à ses coups de tête, arpenter la campagne autrichienne au volant de sa Ford Mustang, couleur or mat, frôler la mort auprès de squales aussi peu urbains que citadins, avouer quelques pensées coupables, mais in fine résoudre brillamment cette enquête si peu policière et tellement pétillante et excitante.

Plongez sans retenue avec ces requins d’eau douce, c’est une cure de jouvence pour votre esprit.

Celui qui a peur du loup
Metzger sort de son trou