Prendre les loups pour des chiens

Hervé Le Corre

3' de lecture

Pour être noir, voilà un roman qui est bien noir, même s’il se déroule dans le sud de la France du côté de Bordeaux, sous un soleil brûlant et poisseux à souhait. Il a un côté James Lee Burke ou David Ray Pollock pour dépeindre les décalés sociaux, les péquenauds ou «rednecks » du sud des États-Unis.

Bienvenue donc dans la France d’en bas, le monde de la débrouillardise, des combines, des libertés avec la règle et la loi, des petits boulots, du parler cru et de la violence ordinaire.

Hervé Le Corre (que je découvre avec ce livre), nous invite donc à suivre Franck, tout frais sorti de 5 ans de taule, et qui va rapidement tomber dans les griffes d’un loup qu’il ne verra même pas, aveuglé par ses vieux codes de l’honneur dépassés, son empathie naturelle, sa crédulité et son incapacité à de défaire de ses anciens oripeaux tant psychologiques que familiaux. Il faut dire que le loup y est, dans les bois, et qu’il sait très bien se cacher et masquer sa vraie nature. Dans cet été torride, ce loup sait jouer des corps brûlants et sensuels, exacerbant les désirs, surtout ceux de Franck durement inhibés pendant ses 5 années au placard, pour mieux envouter sa proie et anesthésier toute velléité de fuite ou de sauvetage.

Jessica, puisque c’est d’elle dont il s’agit, duale, aguicheuse, trouble, violente et aimante, s’avèrera plus femme fatale que mère au foyer, malgré la présence rassurante de sa fille, la petite Rachel, catalyseur de l’empathie de Franck. Par manque de lucidité, par aveuglement sexuel, par légèreté de jugement, par simple faiblesse et pour laisser les autres décider à sa place, Franck va se laisser embarquer dans une spirale infernale et un déchainement de violence qui anéantira rapidement ses espoirs de retrouver un semblant de vie normale.

La force d’Hervé Le Corre réside dans cette tension permanente qui traverse le livre, qui maintient ses personnages bandés comme des arcs (pour Franck au sens propre également), dans cette violence sourde qui transpire de chaque chapitre (il fait vraiment très chaud en Gironde à cette période) et surtout de ce sous-texte social parfaitement dépeint et maitrisé, synonyme de colère, de rancœur, d’écœurement et de frustration. Que ce soit Jessica et ses parents, le Gitan, le Serbe et ses acolytes, tous sont crédibles dans leurs rôles, leurs postures et leurs interactions, souvent violentes. Le Corre sait aussi trouver de beaux moments d’amour et de quiétude avec la fusion corporelle des deux amants, Franck et Jessica, avec un semblant de complicité retrouvée entre Franck et son père et avec la tendresse envers Rachel.

Certainement un très bon roman noir, social et violent avec une écriture sèche et efficace qui vous transporte dans un milieu qu’il vaut parfois mieux éviter, car à trop vouloir éviter les crocs du chien, on se fait prendre par le loup.

Herve le Corre tient la dragée haute aux cadors américains déjà cités, James Lee Burke, David Ray Pollock en y ajoutant Jim Thompson, excusez du peu.

Le Noir Social, à la française a trouvé son maitre.

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