Metzger voit rouge

Thomas Raab

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Et l’on retrouve le cher Willibald, toujours aussi acerbe, dilettante, faussement misanthrope, caustique, grassouillet et chroniqueur philosophe des travers de ses contemporains (et dans ce récit, il a de quoi faire avec le milieu footballistique gangrené par le racisme, la bêtise crasse, la violence gratuite, le fric, les accointances politiques, tout un condensé des détestations de Willibald), mais surtout victime consentante des affres de l’amour portés par une bien aimée Danjela, plantureuse concierge d’origine croate qui avait fait une apparition remarquée dans le non moins remarquable Metzger sort de son Trou. Force est de constater que la magie du premier opus agit un peu moins bien dans cette deuxième aventure, surement parce que la noirceur a cédé le pas à une coloration plus douce, une histoire plus classique et que l’essentiel du roman tourne plutôt autour de la découverte étonnante (pour Willibald) de ses sentiments amoureux pour Danjela, de ses difficultés à reconnaitre et assumer ce nouveau statut d’amoureux, voire de se mettre en couple, lui le solitaire bien peu expansif. Heureusement le style percutant et décalé de Thomas Raab continue de nous distiller ses détours philosophiques (il est certes coutumier du fait) mais cette fois beaucoup plus nombreux traitant de l’âme humaine en général et en particulier des rapports amoureux, conjugaux et des rapports homme-femme faisant passer l’intrigue policière au second plan, intéressante mais assez discrète.

Tout commence par la mort du gardien remplaçant de l’équipe de foot local, après une première mi-temps où il s’est fait copieusement insulté, non pas pour son incompétence (il a plutôt excellé dans son rôle en préservant sa cage inviolée au prix d’exploits footballistiques) mais pour son origine africaine, bien mal vue par des supporteurs aussi bas de plafonds que rasés et dangereux. Danjela, fan de cette équipe et doutant de la mort naturelle, se pique alors de jouer les détectives en se frottant d’un peu trop prés aux cranes rasés, ce qui l’envoie derechef à l’hôpital et dans un profond coma et concomitamment son Willibald dans des contrées amoureuses et relationnelles aussi inconnues que chargées émotionnellement. Mais le faussement débonnaire restaurateur de meubles anciens sent la moutarde lui monter au nez puisqu’on a osé toucher à sa nouvellement chérie. Il se met donc en marche pour dénouer les fils de cette enquête, avec les aides précieuses du commissaire Eduard Pospischill, un peu trop pressé à aller vers une conclusion aussi rapide qu’erronée, de son désabusé concierge polonais Petar Wollnar qui partage avec Willibald l’art difficile de dire beaucoup avec peu de mots et qui lui aussi devra faire face aux tourments amoureux, là où il s’y attendra le moins, de Zusanne Vymetal, amie de Danjela, évoluant du dédain de prime abord à une amitié et un respect non feints, Edgar Zadrolesvky, tailleur pour homme de son état, et capable en quelques coupes de ciseaux de transformer le bedonnant Willibald en bourgeois élégant, pour les besoins de l’enquête ou même encore Ingeborg Joachim, insupportable et antipathique cliente de Willibald (alias la reine de cloportes) qui succombera aux charmes d’Otto Weinstadler, un moins que rien à ses yeux.

Avec tous ces personnages, Thomas Raab détaille les lois de l’attractivité universelle entre homes et femmes et distille, comme à son accoutumée, ses pensées philosophiques et aphorismes sur, pêle-mêle, la société autrichienne, l’art de conduire et de se conduire en macho (un petit morceau savoureux d’émois pour le duo policier Irène Moritz et Gerhard Kogler, les relations extraconjugales et leurs gestions réciproques par les conjoints, les diktats de la mode et la dictature des apparences, le racisme ordinaire, les vicissitudes liées à la compagnie d’un chien, entre autres. Le style de Thomas Raab est toujours aussi percutant, même si ici, assez peu soutenu par l’intrigue, il donne parfois la sensation de tourner un peu à vide, amputé d’une noirceur qui sied toujours à merveille à sa causticité. Mais cela reste toujours un plaisir d’accompagner Willibald, héros attachant, humaniste et de lire Thomas Raab pour son style et ses saillies intelligents, percutants et si justes.

  • Chez Metzger, il n’y a pas de télévision, fixer le vide lui paraît largement suffisant.
  • Parce que face à cette pollution de l’air social, il manque une catégorie : celle des gens qui ne veulent pas être ici, mais qui en ont le droit. Et comme les revirements d’opinion sur la question du vivre-ensemble se propagent à la vitesse d’un incendie de foret sans se soucier des frontières, quitter son propre pays n’est pas non plus une solution. Car de l’autre côté du limes, on se retrouve en deux temps trois mouvements dans le groupe de ceux qui veulent être ici mais qui n’en n’ont pas le droit. Et quand on se résout à rentrer chez soi, on n’a pas le temps de dire ..euh.. sans accent qu’on fait désormais partie de ceux qui ont le droit d’être ici, mais qui sont indésirables.
  • Ingeborg Joachim est une femme à qui le prodigieux héritage que lui ont laissé ses deux défunts époux pourrait, si elle le voulait, apporter la grâce d’un restant de vie délivré de tout souci, au moins materiel. Or elle est la proie de la plus misérable de toutes les souffrances : elle ne sait pas quoi faire de son temps.
  • L’homme ne sert qu’à une chose : léguer ses biens à sa veuve
  • Elle a plus d’une fois constaté que c’étaient les gens les plus insignifiants qui présentaient le plus de danger.

Retrouvez également le dernier opus de Thomas Raab

Metzger sort de son trou
La Moitié du Paradis