Le polar au féminin

La femme est l'avenir du polar

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Table des Matières

La condition féminine dans le Polar s’arrête souvent au niveau de “clichés” éculés avec femmes fatales, blonde glaciale ou brune sacrée garce. Ce ne sont pas Lana Turner dans le Facteur sonne toujours deux fois (de Tay Garnett), Linda Fiorentino dans Last Seduction (de John Dahl) ou même Sharon Stone dans Basic Instinct (de Paul Verhoeven) qui me contrediront. Au-delà de des atouts indéniables qu’elle a à offrir (voire à vendre), la femme peut-elle proposer au Polar une petite musique différente qui rétablirait un équilibre des sexes mis à mal par une poignée de millénaires de machisme et misogynie. Le polar étant un genre littéraire en prise directe avec son époque et en reflétant les évolutions, aussi la part belle est donc désormais faite aux femmes qui arrivent en force depuis une vingtaine d’années.

L’opposition des sexes

Fred Vargas, la papesse du polar français
Fred Vargas, la papesse du polar français
Hardboiled ou dur à cuire, difficile de faire plus macho dans l’expression et donc de renvoyer la gente féminine au mieux au rang de faire-valoir pour des gros bras au cœur tendre. Dans les années 40 et 50, ont fleuri les détectives solitaires et durs, consommateurs de chair fraîche, succombant aux charmes parfois vénéneux de quelques blondes incendiaires et surtout occupés à démêler les fils d’intrigues aussi tordues que complexes. D’un côté, le mâle, son flingue, son feutre mou, sa bouteille de gin ou de whisky, son franc-parler et ses gros poings et de l’autre la (supposée) fragile femme, belle Vamp, charmeuse, souvent fatale, calculatrice, soumise et attitrée au repos du guerrier. Le dossier sur le Détective Privé vous en dira plus.

Les clichés peuvent avoir la vie dure ! Mais ils ont fait les beaux jours de Humphrey Bogart, Mike Hammer, Sam Spade, Philip Marlowe ou même San Antonio. Et puis révolution sexuelle oblige, les années 60 et 70 sont passées par là, du coup les femmes s’affichent (au moins dans les romans) machiavéliques, dominatrices, maîtresses de leur destin, tirant les ficelles (et pas uniquement celles de leurs soutien-gorge) et manipulatrices d’hommes devenus plus circonspects, plus fragiles, en proie au doute et somme toute à la merci de ce sexe supposé faible. Le balancier visitant forcément les extrêmes, le sexe faible devient plus fort et le sexe fort se cherche encore. Bienvenue donc aux nouveaux détectives, plus prompts à l’introspection, cherchant le réconfort dans les bras d’une belle, douce comme du duvet mais plus solide psychologiquement que du béton, des détectives n’ayant plus peur d’oser monter leurs propres faiblesses, voire leur côté féminin. Et ultime évolution, voici donc Milo Sturgis le flic gay qui accompagne Alex Delaware dans les romans de Jonathan Kellermann. A contrario, à quand un renversement total des rôles qui nous ferait découvrir des tueuses en série (à la limite la réalité dépasse la fiction avec Monster, film tiré de la vie d’une véritable tueuse en série et avec une Charlize Theron méconnaissable) ou des hommes fatales, genre beau ténébreux qui ferait courir à sa perte une gente féminine revigorée ?

La Part Féminine des Détectives

Les nouveaux détectives sont aujourd’hui bien loin de l’un des précurseurs, Sherlock Holmes qui de son propre aveux, n’aime pas le sexe faible, en a une véritable aversion et ne leur fait pas jamais totalement confiance. Les personnages sont de plus en plus complexes et tourmentés et leur épaisseur les éloignent des clichés habituels. Que ce soit Sam Goodman, lieutenant de la brigade criminelle, et Sandra Khan, journaliste homosexuelle qui vient de perdre sa compagne assassinée, deux héros fétiches de Maud Tabachnick, le déjà nommé Alex Delaware et son pote flic homosexuel Milo Sturgis que nous fait découvrir Jonathan Kellerman, ils n’ont rien à envier à un certain très séduisant et très ambigu Monsieur Ripley de Patricia Highsmith. Plus près de nous, un certain Kurt Wallander, inspecteur préféré de Henning Mankell, profondément humain, diabétique, divorcé mais aimant toujours sa femme, père d’une fille qu’il ne comprend pas toujours et qu’il sent parfois étrangère, traine sa déprime et sa nostalgie d’un temps révolu que seul son amour pour le travail lui permet de soigner. De même, Varg Veum, le privé de Gunnar Staalesen, un peu dans la même veine, est assez prompt à tomber amoureux, voire à se faire larguer, n’a plus beaucoup d’illusions, mais il faut croire que c’est une spécificité nordique (que vous pouvez d’ailleurs retrouver dans le dossier spécial le Polar Scandinave. Années 90 et 2000 obligent, les fêlures de l’âme chez les privés, flics et autres personnages se retrouvent aussi chez des auteurs tels que Deon Meyer, dans l’âme du Chasseur où la fatigue de la violence et les vieux démons pourraient avoir raison de P’tit Mpayipheli, une force de la nature qui ne veut plus tuer!

Les personnages décalés deviennent légion et Fred Vargas s’en donne à cœur joie dans ce domaine avec l’exploration minutieuse du contemplatif commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, préhistorien, médiéviste et spécialiste de la guerre 14-18. On est décidément loin du “cliché” macho, biscoto !

Une écriture au Féminin

Dirty Weekend de Helen Zahavi
Dirty Weekend, virée trash de Helen Zahavi
Si on parle aujourd’hui de plus en plus de l’écriture du polar au féminin, on peut se demander que serait ce genre sans la gente féminine et ce depuis ses débuts. Ainsi, les auteurs telles que Ann Radcliffe ou Mary Shelley, ont souvent été oubliées. Le premier auteur important après Edgar Poe, c’est une femme. L’Américaine Anna Katharine Green, une des pionnières du genre, écrit dès la fin du XIXème siècle, des romans qui se passent dans les milieux judiciaires et crée les premiers personnages de femmes détectives. Il y eu ensuite Mary Roberts Rinehart qui avec L’Escalier en colimaçon qu’elle publie en 1908, invente le suspense : l’histoire d’une jeune fille en péril dans une vieille maison. De même, dès 1855, Caroline Archer Clive préfigura à la fois le roman noir en mettant en scène un héros meurtrier et le suspense car, dès le début, l’assassin est connu du lecteur, mais pas des autres personnages du récit. Aujourd’hui les femmes tiennent le haut du pavé avec les anglo-saxonnes P. D. James, Ruth Rendell, Patricia Cornwell, Mary Higgins Clark, Elisabeth George, les françaises Fred Vargas ou Claude Amoz, les italiennes Danila Montanari ou Francesca Zucchiatti Schaal, (ferventes du genre “giallo” en italien dans le texte s’il vous plait).

Toujours en Europe, on peut citer également Brigitte Aubert dont le livre La Mort aux Bois (1997) met en scéne une femme aveugle sur la piste d’un tueur d’enfants, Alicia Gimenez Bartlett qui se penche sur les pire maux de la société, viol, pédophilie et traffic (tous de triste actualité en ce moment), Donna Leon, (et que je n’apprécie que moyennement, mais ne soyons pas sectaire), italienne qui a fait de Venise le personnage principal de ses polars, Dominique Manotti, mettant en scéne Théodore Daquin, son commissaire bisexuel et enfin Dominique Sylvain avec son détective féminin Louise Morvan.

Même les scandinaves s’en mêlent avec Camilla Läckberg, suédoise mettant en scène le personnage d’Erica Falck et de son compagnon le commissaire Patrik Hedström, oeuvrant toujours à Fjällbacka, ville de naissance de l’auteure, Karin Fossum, norvégienne surnommée, Reine du Crime et sa concitoyenne Anne Holt, ancienne ministre de la justice et auteur à succès de romans policiers dans les pays scandinaves.

Ces dames du crime, couronnées de succès, ont indéniablement popularisé la littérature policière, sans oublier évidemment la grande Agatha Christie, la seule femme pour qui le crime a vraiment payé.

Aujourd’hui, les femmes signent 40% de la production policière annuelle de romans policier et les parutions policières féminines n’ont fait que proliférer. Outrage suprême à la gent masculine, elles obtiennent même des prix (et je ne parle pas du Fémina): Claude Amoz en 2004 avec le Prix Polar SNCF, Prix européen des jeunes lecteurs 2005 pour Fred Vargas avec Pars vite et reviens tard (entre autres) pour ne citer que des françaises et Minette Walters, Edgar Poe Award du meilleur roman 1994 avec Cuisine sanglante jouant avec la complexité des rapports humains. Mais, les femmes peuvent aussi être beaucoup plus terrible et trash que les hommes. En témoigne ainsi, le Dirty Week End de Helen Zahavi, odyssée d’une femme qui, fatiguée des mains au cul non consenties, abat méthodiquement tout ce qui a une queue sur son passage. Après avoir fait scandale en 1991 avec ce livre (demande d’interdiction dans l’Angleterre toujours aussi puritaine et faux-cul, elle a récidivé avec Donna et le Gros Dégoûtant, escalade de perversion où les protagonistes tiennent absolument à donner le dernier coup de couteau, dans un décor de quartiers louches et de petite délinquance malsaine.

Alors la Femme est-elle l’avenir du Polar

Pour une fois, soyons péremptoire : Pour moi, un polar au féminin avec ses propres spécificités n’existe pas.

Ce que je peux retenir à la rigueur, c’est cette touche féminine qui rend le monde un peu moins noir, pare les histoires les plus tordues d’un peu plus d’optimisme et de lumière (encore que !!). Il ne s’agit donc pas d’opposer les deux sexes, mais plutôt de constater que le polar est devenu un alphabet commun pour raconter les milieux, les époques, les villes, les histoires les plus diverses, les âmes, les sexes. Chaque auteur a sa propre petite musique avec plus ou moins de bonheur mais en tout état de cause le roman policier garde quelques traits majeurs - le crime, le combat entre le bien et le mal, le dévoilement de la vérité d’un monde à travers l’élucidation d’un mystère ou d’une énigme.

En somme, toujours la règle des 3 A :

  • Amour
  • Argent
  • hAsard

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Quelques perles en vrac :

  • Fred Vargas - Pars vite et reviens tard et Ceux qui vont mourir le saluent
  • Karin Fossum - Celui qui a peur du Loup
  • Maud Tabachnik - Dan,ser avec le Diable, Ne vous retournez pas
  • Brigitte Aubert - La Mort des Bois
  • Helen Zahavi - Dirty Weekend, Dirty Romance
  • Donna et le gros dégoûtant, Un été pourri, Le Tango des assassins
  • Dominique Sylvain - Passage du Désir
  • Camilla Lackberg - La faiseuse d’anges et La Sorcière
  • Danielle Charest - Littérature policière et rapports sociaux de sexe (1997, Étude de la réception des textes féminins de mystère à partir d’une vingtaine d’ouvrages spécialisés)